Cancer du foie et des voies biliaires

Les cancers primitifs du foie et des voies biliaires (CPF) regroupent principalement le carcinome hépatocellulaire (CHC) (> 70% des CPF) (1) et le cholangiocarcinome (CC) qui peut revêtir 3 formes : intra-hépatique, hilaire ou extra-hépatique.

Epidémiologie

Les données épidémiologiques sont globales pour l’ensemble des CPF (codées C22 dans la CIM10), sans distinction possible entre CHC (codé C22.0), CC intra-hépatique et les formes plus rares de CPF.

Incidence et mortalité
Après plusieurs décades de croissance (+ 50% en 10 ans aux USA), l’incidence de CPF en général et du CHC en particulier stagne actuellement, alors que l’incidence des CC intrahépatiques croit toujours. En 2018, selon l’observatoire des cancers de l’Organisation Mondiale de la Santé, l’incidence de CPF a atteint 10 624 cas en France, plaçant ainsi les CFP au 13ème rang des cancers et au 3ème rang des cancers digestifs. Du fait d’un délai médian de survie court des patients atteints de CHC (9,4 mois tous stades évolutifs confondus), la mortalité annuelle des CPF est globalement superposable à l’incidence. Ainsi, en 2018, 10 063 décès associés à des CPF ont été enregistrés en France, ce qui représente la cinquième cause de décès par cancer. Le pronostic est particulièrement sombre, grevé par le CC, seul cancer dont la mortalité continue à augmenter dans le monde (dans les 2 sexes), notamment dans sa forme intra-hépatique (en France : augmentation de 43% de la mortalité en cas de CC intra-hépatique versus diminution de 27% pour les formes extra-hépatiques).

Facteurs de prédisposition
Les CPF se développent le plus souvent sur une maladie chronique du foie qui conditionne la prise en charge et souvent le pronostic. En cas de CHC, le foie sous-jacent est le siège d’une fibrose hépatique dans plus de 90% des cas, généralement parvenue au stade de cirrhose (> 70%) et l’alcool représente la première cause de maladie chronique du foie associée au CPF (> 50%) suivie par les infections par les virus des hépatites C et B, et la NASH. En cas de CC intrahépatique, comme pour le CHC, une maladie chronique foie sous-jacente est présente dans 50% des cas ; le CC hilaire, extra hépatique et/ou le cancer de la vésicule peu(ven)t compliquer une maladie chronique des voies biliaires telles que la cholangite sclérosante primitive.

Diagnostic

Méthodes diagnostiques
Les méthodes diagnostiques des CPF sont l’imagerie abdominale en coupes fines (TDM et/ou idéalement IRM avec injection de produit de contraste), l’endoscopie (cholangiographie rétrograde par voie endoscopique, CPRE) pour les tumeurs des voies biliaires et l’anatomopathologie. Les marqueurs tumoraux ont une faible performance diagnostique : le dosage sérique d’alfa-foetoprotéine n’est pas recommandé pour le diagnostic de CHC ; le dosage sérique de CA19-9 peut faire partie du faisceau d’arguments en faveur du diagnostic de CC en l’absence de cholestase sévère.

Critères diagnostiques
Un diagnostic non invasif de CHC est possible en cas de cirrhose sous-jacente pour les lésions supra centimétriques présentant un rehaussement au temps artériel suivi d’un lavage au cours des phases portales et / ou tardives. En l’absence de cirrhose ou en cas d’imagerie atypique, le diagnostic de CHC repose sur la biopsie de la tumeur.
Le diagnostic de CC peut être évoqué sur des examens d’imagerie et/ou d’endoscopie biliaire mais sa confirmation histologique est indispensable.

  • Dans sa forme intra-hépatique typique, le CC est une lésion nodulaire, se comportant après injection comme une tumeur fibreuse, avec un rehaussement annulaire périphérique, souvent associé à une rétraction capsulaire, une dilatation des voies biliaires de voisinage
  • Dans ses formes hilaire et extra-hépatique (Klatskin), le CC se manifeste par une sténose biliaire irrégulière habituellement avec dilatation d’amont des canaux hépatiques et/ou de la voie biliaire principale. La CPRE et l’endoscopie de la voie biliaire permettent la caractérisation optimale de la/ des sténose(s) et la réalisation de brossages cytologiques et /ou de biopsies lésionnelles.

Principes de prise en charge

La prise en charge est réalisée selon les référentiels nationaux (https://www.snfge.org/tncd) et internationaux (2, 3) régulièrement actualisés. Le bilan pré-thérapeutique comporte une évaluation : i) de l’extension tumorale locale idéalement par IRM hépatique et à distance au minimum avec un TDM thoracique ; ii) du foie non tumoral (degré de fibrose hépatique, fonction hépatique, hypertension portale) ; iii) de l’état général et des comorbidités.

CHC – Les petites tumeurs (uniques de toute taille ou multiples avec au maximum 3 nodules de 3 cm de diamètre, sans extension vasculaire ou à distance) chez un patient en bon état général (ECOG 0/1) avec fonction hépatique préservée (Child-Pugh A) relèvent d’un traitement à visée curative : en 1ère intention, local par chirurgie (< 10%) ou ablation percutanée (20%), en 2ème intention, radical par transplantation hépatique (< 3%). Dans les autres cas, un traitement palliatif intra-artériel (chimio/ radio-embolisation) ou systémique par inhibiteurs de tyrosine kinase (Sorafénib, Lenvatinib en 1ère ligne ; Régorafénib ou Cabozantinib en 2ème ligne) est proposé. Le traitement de référence en première ligne va cependant associer Atezolizumab et Bevacizumab chez les patients ayant une cirrhose Child A.

CC – Le traitement curatif repose sur la chirurgie (résection hépatique voire transplantation pour les formes hilaires) mais le taux de résécabilité est faible. En cas d’inextirpabilité, le traitement palliatif repose sur la chimiothérapie systémique (à base de gemcitabine et de sels de platine) couplée à des drainages biliaires idéalement endoscopiques sinon percutanés

Pour le CHC comme pour le CC :

  • L’immunothérapie, actuellement en cours d’évaluation, apparaît très prometteuse ;
  • Outre le traitement oncologique, la prise en charge de la maladie chronique du foie sous-jacente est essentielle et conditionne le pronostic (éradication de la cause en situation curative ; dans tous les cas, prévention des autres complications sévères en particulier de l’hypertension portale).

Enjeux et perspectives

Le diagnostic des CPF est actuellement trop tardif, avec une très (trop) faible proportion de patients bénéficiant d’un traitement à visée curative (< 30%). Ceci est la conséquence :

  • Pour le CHC et le CC intra-hépatique, d’un dépistage systématique peu appliqué en pratique (< 30%) en dépit des recommandations internationales avec de multiples barrières, de la méconnaissance de la maladie chronique du foie sous-jacente au défaut de prescription/ réalisation de l’échographie chez les patients à risque identifiés. De plus, il a été démontré des inégalités territoriales d’accès aux traitements curatifs (plus appliqués/ disponibles en PACA, IDF et sud-Ouest avec en miroir de meilleure survie) requérant la diffusion à toutes les régions des méthodes d’ablations percutanées, méthodes curatives du CHC les plus utilisées.
  • Pour le CC hilaire et extra-hépatique, des difficultés de diagnostic positif. Dans la stratégie diagnostique, la place du gastroentérologue est prépondérante pour surveillance des maladies prédisposantes (cholangite sclérosante) et le diagnostic endoscopique.

Les CPF représentent un enjeu majeur de santé publique. Une mobilisation forte est indispensable en faveur de la promotion du dépistage des cirrhoses d’une part et des CPF (CHC, CC intra-hépatique) d’autre part, la multidisciplinarité avec la possibilité d’interactions rapides et faciles avec des centres de recours, et le développement de l’offre de soins (endoscopie et radiologie interventionnelle, essais thérapeutiques permettant de faire bénéficier aux patients des molécules et/ou de stratégies thérapeutiques innovantes). Par ailleurs, l’optimisation de la prise en charge, qui combine traitements oncologiques spécifiques et traitement de la maladie chronique du foie ou des voies biliaires sous-jacente, requiert la double compétence d’hépato-gastroentérologie et d’oncologie médicale justifiant l’accès sans restriction à la FST d’Oncologie des internes d’hépato-gastroentérologie.

Jean-Frédéric Blanc, Nathalie Ganne-Carrié

Mots clés

Carcinome hépatocellulaire, Cholangio carcinome, Endoscopie, Imagerie, Cirrhose

Références Majeures

  1. https://gco.iarc.fr
  2. Villanueva A. Hepatocellular Carcinoma.N Engl J Med. 2019 Apr 11;380(15):1450-1462.
  3. EASL Clinical Practice Guidelines: Management of Hepatocellular Carcinoma. J Hepatol. 2018; 69(1):182-236.
  4. Valle JW et al. Biliary cancer: ESMO Clinical Practice Guidelines for diagnosis, treatment and follow-up. Ann Oncol. 2016 Sep;27(suppl 5):v28-v37.