Cirrhose

Epidémiologie

En France, peu d’études épidémiologiques ont été menées sur la cirrhose. Cette pathologie constitue pourtant un enjeu majeur de santé publique comme en atteste la prévalence estimée de 2000 à 3300 cas par million d’habitants, avec une incidence annuelle de 150 à 200 cas par million d’habitant [1]. Les principales causes de cirrhose en France sont une consommation excessive d’alcool, les hépatites chroniques virales B et C, le syndrome métabolique (ce syndrome associe au moins trois des éléments suivants : diabète de type 2, hypertension artérielle, surpoids, augmentation du périmètre abdominal, dyslipidémie), et l’hémochromatose. Au cours de la cirrhose, des complications sévères peuvent survenir (hémorragie digestive, ascite, encéphalopathie hépatique (EH), infection, et cancer primitif du foie) nécessitant des hospitalisations fréquentes [2]. La cirrhose et ses complications sont responsables d’environ 15000 décès chaque année chez des patients relativement jeunes (âge moyen de 55 ans) [1].

Diagnostic

Le diagnostic est le plus souvent fait lorsque le patient présente une des complications sus-citées de la cirrhose. A ce stade, il existe le plus souvent des signes cliniques d’insuffisance hépatique (ictère, angiomes stellaires, asterixis, ongles blancs, érythrose palmaire) ou d’hypertension portale (HTP: splénomégalie, circulation veineuse collatérale, ascite) ; Au cours de ces situations, aucun test supplémentaire n’est nécessaire car le diagnostic est évident cliniquement. En l’absence de ces complications, la cirrhose est « compensée » et le diagnostic de cirrhose peut être difficile par manque de signe clinique évocateur. Dans ce cas, l’utilisation de méthodes dites non invasives d’évaluation de la fibrose sont utiles pour porter un diagnostic de cirrhose sans avoir recours à la biopsie de foie. En pratique clinique, on utilise d’une part des tests sériques (FibroTest®, FibroMètre®, Fib-4) qui ont montré une bonne sensibilité et une bonne valeur prédictive négative pour le diagnostic d’hépatopathie chronique avancée du foie/cirrhose. On peut également estimer la fibrose hépatique à l’aide du FibroScan® ; ainsi, une élasticité supérieure à 15 kPa chez un patient ayant une hépatopathie chronique est très fortement évocatrice d’une maladie chronique avancée ou de cirrhose.

Principes de prise en charge

Lorsque le diagnostic de cirrhose a été établi, il convient d’en rechercher la cause afin de la traiter, et de dépister la survenue des complications de la cirrhose. Ainsi, tous les patients devront bénéficier d’une recherche des hépatites virales B et C, du syndrome métabolique, d’un bilan martial et d’une recherche de consommation excessive d’alcool. En présence d’une hépatite virale, un traitement par antiviraux directs (hépatite C), analogue nucléos(t)idique (hépatite B) ou Interféron-pégylé éventuellement associés aux nouveaux anti-viraux disponibles dans le cadre d’une ATU de cohorte ou d’essais thérapeutiques (hépatite D) doit être instauré, car ils améliorent le pronostic et permettent de diminuer significativement le risque de développer une décompensation de la cirrhose ou de survenue d’un cancer primitif du foie. En présence d’un syndrome métabolique, tous les éléments qui le composent doivent être pris en charge efficacement. La prise en charge adéquate des patients cirrhotiques nécessite un arrêt de la consommation d’alcool et l’acquisition de règles hygiéno-diététiques appropriées (consultation en nutrition, activité physique régulière). Aucune thérapeutique spécifique du syndrome métabolique n’est actuellement disponible, même si la recherche demeure intense dans ce domaine.
Chez les patients ayant une hépatopathie chronique avancée (i.e., une élasticité hépatique supérieure à 10 kPa au FibroScan®), les complications qui doivent être systématiquement recherchées au cours du suivi sont les suivantes [3]:
1) le cancer primitif du foie sera dépisté tous les 6 mois par une échographie hépatique et un dosage de l’alpha-foetoprotéine ;
2) la présence de varices oesophagiennes ou gastriques sera dépistée par une gastroscopie si l’élasticité est supérieure à 20 kPa ou si le taux de plaquettes est inférieur à 150000/mm3; les autres complications de l’HTP, comme l’EH ou l’ascite, seront aussi dépistées à chaque consultation. Notamment, il est recommandé de rechercher une EH « minime » par des tests simples (dénomination des animaux par exemple) car ce type d’EH est associée à une mauvaise qualité de vie des patients et des aidants, et prédispose à un risque accru d’accident de la voie publique et de survenue d’une EH clinique, elle-même associée à un pronostic péjoratif.
L’ascite sera traitée par diurétiques ou ponctions itératives avec perfusion d’albumine ; lorsque l’ascite devient « réfractaire », l’indication du TIPS (transjugular intrahepatic portosystemic shunt) ou de l’alfapump® devra être discutée. La prise en charge de l’EH repose sur la recherche et le traitement des facteurs précipitants, ainsi que sur la prescription de lactulose ou de rifaximine en deuxième ligne. La prise en charge de l’hémorragie digestive sur HTP repose sur une hospitalisation en structure de soins continus afin débuter un traitement vasoactif, une antibiothérapie et un traitement endoscopique le plus rapidement possible ; la disponibilité d’un endoscopiste est donc un élément clé dans cette prise en charge. Chez les patients les plus sévères, la pose d’un TIPS, réalisée le plus souvent par des radiologues interventionnels, doit être envisagée.

La prévention des infections est essentielle chez les patients atteints de cirrhose. La vaccination contre la grippe saisonnière et le pneumocoque est recommandée, ainsi que contre le virus de l’hépatite A et le virus de l’hépatite B en l’absence de marqueurs d’exposition. Chez tous les patients présentant une décompensation sévère de la cirrhose ou un cancer primitif du foie, une transplantation hépatique doit être discutée au cas par cas.

Enjeux et perspectives

Un des principaux enjeux de santé publique durant les prochaines décennies sera le dépistage de la fibrose avancée du foie, probablement à grande échelle, afin de prévenir les complications de la cirrhose. La population française continue d’être exposée aux risques de maladie chronique du foie (consommation excessive d’alcool, hépatites virales, et syndrome métabolique surtout) et la projection du nombre de cas de cirrhose décompensée en France sera la plus importante des pays européens (augmentation de l’incidence relative de 164% entre 2016 et 2030 [4]). Des tests sériques sensibles et facilement interprétables aideront certainement cette démarche sous réserve de leur remboursement.

Dr Marika Rudler, Pr Thierry Thevenot

Mots clés

Maladie chronique avancée du foie, Hypertension portale, Elasticité hépatique, Tests de sériques de fibrose, Dépistage du cancer primitif du foie

Références Majeures

  1. Haute Autorité de Santé. Guide ALD 6 “cirrhosis”. HAS 2008 (https://www.has-sante.fr/upload/docs/application/pdf/2008-11/guide_medecin_cirrhoses_final_web_novembre_2008.pdf)
  2. Condat B, et al. Le recours aux soins pour cirrhose dans les services d’hépato-gastroentérologie des centres hospitaliers généraux français, 2012. BEH 2015, n°24-25, p. 450-6.
  3. EASL clinical practice guidelines for the management of patients with decompensated cirrhosis. J Hepatol 2018; 69:406-60.
  4. Este C, et al. Modeling NAFLD disease burden in China, France, Germany, Italy, Japan, Spain, United Kingdom, and United States for the period 2016–2030. J Hepatol 2018; 69:896-904.