Dénutrition

En France et en Europe, à la différence de nombreux pays du tiers monde, la dénutrition ne se croise pas au coin des rues. C’est plutôt une maladie cachée, derrière les murs des hôpitaux, dans les institutions de personnes âgées et au domicile. Au moins 25% des patients qui rentrent à l’hôpital sont déjà dénutris ou à risque de dénutrition. En cours d’hospitalisation, du fait de l’aggravation liée à la maladie et, trop souvent encore, à l’insuffisance de prise en charge, la dénutrition peut toucher jusqu’à 40% des patients hospitalisés et même plus dans certains services de gériatrie, de cancérologie ou de réanimation par exemple. Globalement, on estime que la dénutrition touche au moins 5% de la population européenne, ce chiffre est au moins doublé dès qu’il existe une maladie évolutive.

Les études Nutricancer (1, 2) réalisées chez plus de 4 000 malades atteints de cancers, présents un jour donné en hospitalisation ou en ambulatoire dans près de 50 établissements publics ou privés en France, ont montré que la prévalence de la dénutrition était de 39%. Ces données ont été obtenues avec les critères habituels qui font notamment référence à une perte de poids de 10 % ou plus. Cependant, si l’on considère qu’un patient présentant une perte de poids de 5 % est déjà à risque nutritionnel, la prévalence de la dénutrition était supérieure à 55 %. Enfin, seuls 15 % des malades pris en charge pour un cancer n’avaient pas perdu de poids. La dénutrition était encore plus fréquente au cours des cancers digestifs : et elle atteignait 67 % des malades atteints d’un cancer du pancréas, 60 % des cancers du tube digestif haut et 39% dans les cancers du côlon et du rectum.

La dénutrition peut être liée à un déficit d’apport isolé, à une augmentation des dépenses ou des pertes énergétiques et/ou protéiques ou à l’association d’un déficit d’apport à une augmentation des dépenses ou des pertes énergétiques et/ou protéiques. Elle est en particulier favorisée par les pathologies qui touchent le tube digestif, le foie ou le pancréas.

Elle entraîne une augmentation marquée du risque de complications, de comorbidités, une dégradation de la qualité de vie et un recours accru aux soins. Par exemple, il a été montré que, comparativement aux malades non dénutris, le risque de contracter une infection nosocomiale était multiplié par cinq chez les malades dénutris (3). La dénutrition modifie également la pharmacocinétique des médicaments et contribue à l’augmentation de leur toxicité, notamment lors des chimiothérapies (4) et des radiothérapies (5). Par ailleurs, la dénutrition entraîne un doublement du nombre de réhospitalisations, et accroit le délai de reprise des activités professionnelles ainsi que la mortalité à long terme après hospitalisation (6). Au bout du compte et à pathologie équivalente, les patients dénutris ont une mortalité plus élevée que les patients en bon état nutritionnel. On estime que plus de 30 millions d’européens souffrent de dénutrition. Le coût lié à cette dénutrition a été estimé à au moins 170 milliards d’euros à l’échelon européen.

La haute Autorité de Santé vient de publier en Novembre 2019 des recommandations de bonnes pratiques pour le diagnostic de la dénutrition de l’enfant et de l’adulte (7). Elles définissent des seuils de dénutrition modérée et sévère selon le niveau de perte de poids et le délai d’apparition de l’amaigrissement (perte de poids de 5 % en 1 mois ou 10 % en 6 mois ou depuis le début de la maladie pour une dénutrition modérée et perte de poids de 10 % en 1 mois ou 15 % en 6 mois ou depuis le début de la maladie pour une dénutrition sévère) (Figure 1).

Figure 1 : diagnostic de la dénutrition (7)

De très nombreuses études ont montré qu’il est possible d’agir efficacement sur la dénutrition. La prise en charge nutritionnelle active des patients dénutris améliore leur évolution clinique, réduit les complications, en particulier infectieuses, favorise la cicatrisation, améliore la qualité de vie, réduit les durées d’hospitalisation et les coûts de santé. Une étude récente démontre qu’une simple prise en charge diététique avec des conseils alimentaires proposés à des malades porteurs d’un cancer colorectal métastatique en première ligne de chimiothérapie réduit le risque de complications sévères stades 3 et 4 (8). Une autre étude démontre que la mise en place du dépistage systématique de la dénutrition à l’échelle d’un hôpital avec une intervention nutritionnelle simple le plus souvent par voie orale, permet d’améliorer le devenir des patients et de réduire la mortalité. Vingt-cinq patients traités permet d’éviter une complication et trente sept un décès. Cette prise en charge est très « coût-efficace » et le coût de la prise en charge nutritionnelle ne représente que 2,5% du coût lié aux complications de la dénutrition.

Messages clés :

  • La dénutrition est un problème majeur de santé publique qui concerne plus de 2 millions de personnes en France
  • Le diagnostic de dénutrition est exclusivement clinique ; il repose sur l’association d’un critère phénotypique et d’un critère étiologique chez l’enfant comme chez l’adulte.
  • Le poids doit être mesuré à chaque consultation et/ou hospitalisation et renseigné dans le dossier médical.
  • Un indice de masse corporelle (IMC) normal ou élevé n’exclut pas la possibilité d’une dénutrition (ex. : une personne en surpoids ou obèse peut être dénutrie).
  • La prise en charge de la dénutrition permet d’améliorer le pronostic des malades et réduit les coûts

Xavier Hébuterne – Nice

Mots clés :

dénutrition, complications, infections, mortalité, dépistage

Références

  1. Hébuterne X, Lemarié E, Michallet M et al. Prevalence of malnutrition and current use of nutrition support in patients with cancer. JPEN J Parenter Enteral Nutr. 2014;38:196-204 ;
  2. Gyan E, Raynard B, Durand JP, et al. NutriCancer2012 Investigator Group. Malnutrition in Patients With Cancer: Comparison of Perceptions by Patients, Relatives, and Physicians-Results of the NutriCancer2012 Study. JPEN J Parenter Enteral Nutr. 2018;42:255-60 ;
  3. Schneider SM, Veyres P, Pivot X, et al. Malnutrition is an independent factor associated with nosocomial infections. Br J Nutr. 2004;92:105-11 ;
  4. Prado CM, Baracos VE, McCargar LJ, et al. Body composition as an independent determinant of 5-fluorouracil-based chemotherapy toxicity. Clin Cancer Res 2007;13:3264-8.
  5. Hill A, Kiss N, Hodgson B, Crowe TC, Walsh AD. Associations between nutritional status, weight loss, radiotherapy treatment toxicity and treatment outcomes in gastrointestinal cancer patients. Clin Nutr 2011;30:92-8.
  6. Lim T, Nam SH, Kim MS, Yoon KS, Kim BS. Comparison of medical expenditure according to types of hospice care in patients with terminal cancer. Am J Hosp Palliat Care 2013;30:50-2.
  7. Haute Autorité de santé. Diagnostic de la dénutrition de l’enfant et de l’adulte. Recommandation de bonne pratique. Saint-Denis 2019. Disponible en ligne :
    https://www.has-sante.fr/upload/docs/application/pdf/2019-11/fiche_outil_diagnostic_denutrition.pdf
  8. Hébuterne X, Besnard I, François E, et al. Impact of an early active dietary counseling on grade ≥ 3 toxicity in patients receiving first-line chemotherapy for metastatic colorectal cancer. UEG Journal 2019;7:948.
  9. Schuetz P, Fehr R, Baechli V et al. Individualised nutritional support in medical inpatients at nutritional risk: a randomised clinical trial. 2019;393:2312-21