Hépatotoxicité des médicaments, des plantes médicinales et compléments alimentaires

Introduction

L’hépatotoxicité des médicaments est la principale cause de retrait des médicaments du marché pharmaceutique et d’interruption du développement de nouvelles molécules.

Epidémiologie

L’incidence de la toxicité hépatique des médicaments dans la population générale varie de 2.3 à 2,4/100 000 dans les rares études rétrospectives à 14- à 19/100 000 habitants dans les deux seules études prospectives dont une en France (estimation de 9000 cas/an en France). Les lésions hépatiques sont d’une très grande variété au point de reproduire pratiquement toutes les maladies hépatiques non iatrogènes.
Plus de 1300 médicaments « classiques » sont actuellement répertoriés, auxquels s’ajoutent de façon croissante le rôle d’autres xénobiotiques comprenant les plantes médicinales, des compléments alimentaires et des produits chimiques. Plusieurs registres européens et la base de données américaine LiverTox régulièrement actualisée listent et décrivent l’hépatotoxicité des xénobiotiques incriminés.

Manifestations cliniques et diagnostic

Les médicaments sont la cause d’atteintes hépatiques extrêmement variées au point de reproduire pratiquement l’ensemble des maladies non iatrogènes du foie. La caractérisation de l’atteinte hépatique est basée essentiellement sur des critères biologiques, et cliniques avec des marqueurs utilisés en pratique courante : activité sérique de l’alanine aminotransférase (ALT), de l’aspartate aminotransférase (AST), des phosphatases alcalines (PAL), de la gammaglutamyltransférase (GGT), concentration sérique de la bilirubine totale et conjuguée, albuminémie, facteurs de coagulation, taux de prothrombine et l’INR. Grâce à ces marqueurs simples, on peut définir l’existence d’une atteinte hépatique, son type et sa sévérité selon plusieurs recommandations internationales.

La gravité est très variable allant d’une simple anomalie biochimique avec une élévation asymptomatique des transaminases ou des phosphatases alcalines à des formes beaucoup plus graves comme une hépatite fulminante avec insuffisance hépatique conduisant très vite à l’indication d’une transplantation hépatique en urgence ou au décès. Une enquête récente sur les années 2015-2016 montre qu’en France, la principale cause d’indication de transplantation hépatique pour hépatite aigue grave est le paracétamol avec plus de 42%, les autres médicaments représentent un peu plus de 8 %.

L’atteinte hépatique peut être due à une toxicité intrinsèque, survenir de façon prévisible, et être fortement liée à la dose. L’exemple type est l’intoxication au paracétamol, que celle-ci soit volontaire, ou de plus en plus souvent accidentelle à la suite d’un mésusage du médicament (40% des cas maintenant). Il y a peu de médicaments dans cette catégorie car ils sont vite exclus de l’usage thérapeutique. Pour l’immense majorité des médicaments, la survenue de l’hépatite est imprévisible, rare à très rare, alors que le médicament est pris dans la bonne indication et selon les recommandations. Ce type d’atteinte hépatique, appelé idiosyncratique, concerne plusieurs centaines de médicaments, de plantes et de compléments alimentaires. Le délai de survenue, l’expression clinique et la sévérité sont d’une très grande variabilité d’un produit à l’autre.

Les autres atteintes hépatiques médicamenteuses sont généralement chroniques et représentent moins de 10%. Il peut s’agir d’hépatite chronique, d’une stéatose ou d’une stéatohépatite comme avec l’obésité et le diabète, d’une cholangite, toutes atteintes pouvant conduire à une cirrhose. Plus rarement, il s’agit de maladies vasculaires du foie, particulièrement avec les chimiothérapies des cancers et certains produits de phytothérapie. Très rarement, il s’agit d’une tumeur bénigne (adénome) ou d’un cancer du foie avec les hormones sexuelles ou leurs dérivés.

Les critères diagnostiques dépendent du type d’atteinte hépatique. Dans les hépatites aigues, le diagnostic repose sur deux types de critères. Le premier type regroupe des critères chronologiques, comprenant l’exposition au médicament avant l’atteinte hépatique, l’amélioration après l’interruption du médicament, et la récidive de l’atteinte hépatiques après une ré-exposition accidentelle. Le second type consiste à éliminer les autres causes pouvant causer le même type d’atteinte, en particulier les hépatites virales classiques, une anomalie des voies biliaires, une maladie immunitaire ou cardio-vasculaire.

L’évaluation de la causalité (imputabilité) d’un médicament peut être facilitée en utilisant un score combinant biomarqueurs et caractéristiques chronologiques et cliniques comme illustré par le « Roussel-Uclaf Causality Assessment Method » RUCAM. Il existe dans de rares cas des auto-anticorps spécifiques d’un médicament ou la possibilité de détecter le médicament en cause (paracétamol, vitamine A) ou son métabolite toxique dans le sang (paracétamol, plantes médicinales).

Une biopsie hépatique est rarement réalisée car, outre son caractère invasif, elle n’apporte pas d’information spécifique sur l’origine médicamenteuse ou le médicament suspecté. Elle est actuellement principalement indiquée dans les hépatites auto-immunes, dans les anomalies prolongées malgré l’arrêt du médicament responsable, dans la stratégie thérapeutique de l’hépatotoxicité de certains nouveaux médicaments comme les inhibiteurs de check-point immunologiques et dans les atteintes hépatiques chroniques.

Les facteurs promoteurs d’hépatotoxicité ont été récemment très attentivement revus et le constat est que l’âge, le sexe, la consommation d’alcool, le syndrome métabolique avec l’obésité, le diabète et l’existence d’une stéatose n’agissent pas globalement mais de façon sélective sur certains médicaments.

Prise en charge

Devant la suspicion d’une cause médicamenteuse, la prise en charge consiste en plusieurs mesures simples: interrompre le traitement suspecté et réaliser les tests permettant de caractériser l’atteinte hépatique, sa gravité et réunir les critères diagnostiques pour déterminer la responsabilité du médicament ou bien d’une autre cause.

Globalement, il n’y a pas de traitements généraux ou spécifiques dans les hépatites médicamenteuses à de très rares exceptions. Le principal exemple est l’administration d’un antidote, la N-acétylcystéine, dans les intoxications dues au paracétamol. Une corticothérapie peut être utile dans les atteintes avec forte médiation (auto)-immune.

Enjeux et perspectives

En dépit des progrès importants en toxicologie et malgré la qualité croissante des essais cliniques en matière de sécurité, la fréquence des hépatites médicamenteuses n’a pas diminué au cours des 10 dernières années. C’est pourquoi, des efforts importants sont faits pour trouver des marqueurs diagnostiques, prédisposants et prédictifs en particulier, le rôle de facteurs génétiques. Ils visent la détection précoce d’atteinte hépatique (microARN 122 et 192, cytokératine 18), la sélection d’un type d’hépatite (HMGB-1, MCSFR-1, GLDH) ou la prédiction du pronostic (MCSFR-1, ostéopontine, cytokératine 18 et acides biliaires. Le rôle de la pharmacogénétique dans l’hépatotoxicité médicamenteuse est de mieux en mieux reconnu et quelques associations robustes commencent à être identifiées, en particulier avec certains haplotypes HLA avec des applications diagnostiques. Des tests in vitro tels que le MET-HEP est prometteur pour la détermination d’un médicament donné quand il y a une poly-médication ce qui est très fréquent. De façon plus futuriste, le système DILIsym pourrait permettre de déterminer le risque d’hépatotoxicité d’une nouvelle molécule et, éventuellement, la dose qui permettrait de ne plus être toxique dès le stade précoce des essais cliniques avant l’autorisation de mise sur le marché.

Conclusion

Les hépatites médicamenteuses constituent une cause importante de maladie du foie. L’expression clinique et la gravité sont très variables. Le diagnostic est souvent difficile.

De nouveaux tests et biomarqueurs sont en cours de développement pour une détection précoce, une meilleure caractérisation, et une prédiction de façon à aboutir à des mesures préventives, en particulier avec des marqueurs génétiques.

Dominique Larrey 1,2
1 Service d’Hépato-gastroentérologie et Transplantation
2 INSERM 1183
Hôpital Saint Eloi, 80 avenue Fliche
34295 Montpellier Cedex 5, France
Téléphone : 04 67 33 70 61
Fax : 04 67 52 38 97
Courriel de l’auteur : dom-larrey@chu-montpellier.fr

Mots clés

Hépatotoxicité, Médicaments, Phytothérapie, Compléments alimentaires, Pharmacogénétique

Références Majeures

  1. Larrey D, Ursic-Bedoya J, Meunier L. Drug-Induced hepatotoxicity. In:Schiff’s Diseases of the Liver. ER Schiff, WM Maddrey, R Kenjender Reddy eds New York: Wiley- Blackwell; 2018; 740-777.
  2. LiverTox: http:// livertox.nlm.nih.gov.
  3. EASL Clinical practice Guidelines: Drug-induced liver injury. The group of experts included: Raúl Andrade, Guruprasad Aithal, Einer Björnsson, Neil Kaplowitz, Gerd Kullak-Ublick, Dominique Larrey, Tom Karlsen. J Hepatol 2019; 70 :1222-1261. oi: 10.1016/j.jhep.2019.02.014. Epub 2019 Mar 27.