Maladie de Crohn

La maladie de Crohn (MC) est avec la rectocolite hémorragique (RCH) l’une deux principales maladies inflammatoires chroniques de l’intestin (MICI). Entre ces deux entités qui représentent 90 % des MICI il existe des colites indéterminées, qui constituent des formes intermédiaires de passage entre ces deux pathologies. La pathogénie des MICI est complexe et ces pathologies sont considérées comme des modèles d’affections multifactorielles. Elles sont favorisées par des prédispositions génétiques et des facteurs environnementaux qui conduisent à des anomalies de la réponse immune. Ces anomalies immunologiques sont susceptibles d’affecter la composition du microbiote intestinal pour conduire à ce que l’on appelle la dysbiose ou les grands équilibres entre les espèces microbiennes sont altérés.

Définition

La maladie de Crohn est caractérisée par une inflammation chronique susceptible de toucher tous les segments du tube digestif de la bouche à l’anus. Cette inflammation est responsable de symptômes digestifs chroniques, invalidants et variés en lien avec la localisation de l’atteinte chez la personne malade. Elle peut entrainer des douleurs abdominales, une diarrhée chronique, un amaigrissement, une fatigue et de la fièvre. Avec le temps l’inflammation peut conduire à des complications dans les formes les plus graves comme des occlusions intestinales, des abcès ou des fistules qui font communiquer un segment d’intestin avec un autre organe qui peut être un autre segment intestinal mais aussi la paroi abdominale, la peau ou encore la vessie. De plus, par l’atteinte de l’anus, la maladie de Crohn peut entrainer des abcès, des fistules et des suppurations chroniques du périnée particulièrement invalidantes.

Enfin, en plus des atteintes digestives, des manifestations extra-intestinales sont possibles comme des rhumatismes avec une atteinte des articulations axiales et/ou périphériques définissant alors une spondylarthropathie, des atteintes oculaires avec des uvéites, des atteintes cutanées avec un érythème noueux ou un pyoderma gangrenosum. Enfin les voies biliaires peuvent être le siège de phénomènes inflammatoires chroniques (cholangite sclérosante primitive).

Épidémiologie

Depuis sa description initiale pendant la première moitié du vingtième siècle l’incidence de la maladie n’a pas cessé de croitre d’abord dans les pays industrialisés et désormais dans les pays émergents (1).

En France, le nombre de patients atteints de maladie de Crohn a régulièrement augmenté depuis que les cas sont enregistrés. Ainsi l’incidence annuelle de la maladie est passée de 5,3 à 7,6 pour 100 000 habitants selon les données du registre EPIMAD qui collecte depuis 1988 les données des départements du Nord, du Pas de Calais, de la Somme et de la Seine Maritime (2). La majorité des diagnostics de maladie de Crohn sont posés chez des personnes jeunes principalement au cours de la troisième décade de la vie. Mais depuis 2013 il est observé une augmentation encore plus importante chez les adolescents avec une incidence passée de 4,2 à 9,5 pour 100000. Cette augmentation de 126 % des formes à début pédiatrique continue de se poursuivre dans notre pays (2).

Selon les données de la SNIIRAM, 212 700 personnes ont été prises en charges pour MICI en 2015 dont un peu plus de la moitié pour une maladie de Crohn. On estime donc que plus de 120 000 personnes sont porteuses d’une maladie de Crohn en France actuellement (3). Pour la maladie de Crohn, le rôle délétère du tabac est le facteur environnemental le plus important pour l’épidémiologie et l’histoire naturelle de la maladie.

Diagnostic

Le diagnostic de maladie de Crohn est habituellement évoqué chez un malade consultant pour des symptômes digestifs récurrents comme des douleurs souvent associées à une diarrhée et un amaigrissement. Il n’est pas rare que les symptômes évoluent depuis des mois voir des années et qu’ils aient été attribués à tord à des épisodes infectieux. La suspicion clinique de ce diagnostic conduit à la réalisation d’une biologie qui objective le plus souvent un syndrome inflammatoire et à la réalisation d’endoscopies digestives (iléocoloscopie et gastroscopie). Ces examens ont lieu le plus souvent sous anesthésie générale et vont permettre de confirmer le diagnostic par la mise en évidence de lésions macroscopiques caractéristiques notamment des ulcérations plus ou moins profondes respectant des intervalles de muqueuse saine. L’examen permet également la réalisation de biopsies identifiant une inflammation intestinale chronique parfois sous forme particulière le granulome très évocateur de la maladie. Le bilan endoscopique permet en outre une cartographie des localisations des lésions qui sera complétée par une imagerie de l’intestin grêle souvent par imagerie par résonnance magnétique (IRM) ou par une vidéocapsule endoscopique (VCE). Cette cartographie de l’atteinte sera un guide important dans les choix thérapeutiques et permettra d’établir un pronostic de la maladie.

Le diagnostic peut être parfois difficile quand la maladie mine une autre pathologie comme une appendicite ou se présente d’emblée dans une forme compliquée par un abcès ou une péritonite. Dans ces circonstances urgentes c’est l’imagerie en coupe par tomodensitometrie (TDM ou scanner) qui dans le contexte épidémiologique permettra d’évoquer le diagnostic.

Principes de prise en charge

La maladie de Crohn évolue par poussées inflammatoires dont la survenue reste imprévisible. A long terme, cette inflammation chronique peut favoriser la survenue d’un cancer colorectal (5-10 % des cancers colorectaux sont développés sur MICI). Les poussées inflammatoires sont le plus souvent localisées sur les mêmes segments mais avec le temps ces segments peuvent développer des complications à type de sténose ou de fistules qui sont appelés « changement de phénotype ». Ces complications peuvent conduire à engager le pronostic vital des patients et impose souvent une intervention chirurgicale. Pour autant, l’espérance de vie des malades atteints de maladie de Crohn est peu différente de celle de la population générale dans les pays occidentaux.

L’objectif du traitement de la maladie de Crohn est de traiter l’inflammation de manière à soulager les symptômes et faire disparaitre quand cela est possible les lésions visible en endoscopique ou en imagerie (3). En effet, les malades chez qui il a pu être obtenu une rémission clinique associée à une disparition ou une amélioration des lésions endoscopiques sont ceux qui ont la meilleure qualité de vie, qui présenteront le moins de retentissement social de leur maladie et seront au risque le plus faible d’être opérés ou de développer une complication comme un cancer.

L’arsenal thérapeutique s’est considérablement développé ces dernières années. La première mesure thérapeutique sera toujours d’essayer d’obtenir chez les fumeurs l’arrêt du tabac. Le traitement de première ligne comporte chez les adultes la corticothérapie, puis les immunosuppresseurs et enfin les biothérapies (anticorps monoclonaux anti-TNF, anti-intégrines, anti-IL12/23) (3). La stratégie est le plus souvent celle de l’intensification progressive mais il est possible en cas de forme très sévère d’avoir un recours rapide à des associations d’immunosuppresseurs et de biothérapie (3). De plus les traitements nutritionnels que sont l’alimentation parentérale exclusive (arrêt de toute prise alimentaire orale remplacée par une alimentation intraveineuse) ou l’alimentation entérale (par sonde ou par voie orale) sont des alternatives efficaces dans les formes compliquées ou chez les enfants où les objectifs d’éviter la cortisone et de favoriser la croissance par des apports nutritionnels optimaux sont prioritaires.

La chirurgie de la maladie de Crohn doit être réservée aux formes compliquées après échec des traitements médicaux et doit être économe en raison du risque important de rechute et des atteintes plurifocales possibles sur l’intestin. Il existe en effet un risque d’insuffisance intestinale chronique en cas de résections itératives. Le taux de chirurgie reste actuellement estimé en dépit des progrès du traitement médical à 40 % à 10 ans après le diagnostic. Ces dernières années ont été marquées par le développement de la chirurgie laparoscopique qui a permis des chirurgies moins lourdes surtout lorsque le geste peut être réalisé dans des équipes spécialisées et hors de l’urgence. L’émergence de biothérapies nouvelles a complexifié les stratégies thérapeutiques et également apporté malheureusement des effets indésirables parfois grave.

Enjeux et perspectives

La maladie de Crohn reste complexe par la population de sujets jeunes quelle touche, par la variété de ses présentations cliniques, par ses risques à long terme de complications et surtout par l’absence de traitement curatif à ce jour. Le développement des biothérapies coûteuses en fait également en enjeu important pour notre société et son système de protection sociale. La multiplicité des acteurs du système de soins impliqués, les gastroentérologues, les chirurgiens digestifs, les radiologues, les tabacologues mais également les paramédicaux (diététicien, psychologue), complexifie les parcours de soins et questionne nos organisations traditionnelles.

Guillaume Savoye – Rouen

MOTS CLÉS

Maladie de Crohn, maladie inflammatoire chronique de l’intestin, épidémiologie, immunosuppresseurs, biothérapies.

Références

  1. Ng SC, Shi HY, Hamidi N, Underwood FE, Tang W, Benchimol EI, Panaccione R, Ghosh S, Wu JCY, Chan FKL, Sung JJY, Kaplan GG. Worldwide incidence and prevalence of inflammatory bowel disease in the 21st century: a systematic review of population-based studies. Lancet. 2018 Dec 23;390(10114):2769-2778.
  2. Gower-Rousseau C, Leroyer A, Génin M, Savoye G, Sarter H, Pariente B, et al. Épidémiologie descriptive et évolution dans le temps et l’espace de l’incidence des maladies inflammatoires chroniques intestinales dans le nord-ouest de la France (988-2014). Bull Epidémiol Hebd. 2019;(13):228-36.
  3. Torres J, Mehandru S, Colombel JF, Peyrin-Biroulet L. Crohn’s disease. Lancet. 2017 April 29; 389:1741-55.