Maladie du foie liée à l’alcool

ÉPIDÉMIOLOGIE

Bien que la consommation d’alcool diminue en France comme dans beaucoup de pays occidentaux, la maladie du foie liée à l’alcool (MFLA) reste de très loin la première cause de décès lié au foie. Dans son bulletin hebdomadaire du 14 janvier 2020, Santé Publique France soulignait que 23,6% des Français âgés de 18 à 75 ans avaient dépassé les repères de consommation en 2017. D’autres chiffres soulignent l’importance de la consommation d’alcool dans notre pays : 87% des Français de 18 à 75 ans consomment de l’alcool au moins une fois par an, 26% des 65-75 ans déclarent une consommation quotidienne d’alcool et 10% des 18-75 ans consomment à eux-seuls 58% de l’alcool consommé.

La MFLA correspond à l’ensemble des lésions hépatiques causées par la consommation de boissons alcoolisées. La terminologie de MFLA doit désormais remplacer le terme « maladie alcoolique du foie » car l’adjectif « alcoolique » est perçu par beaucoup de patients et de soignants comme péjoratif. A titre informatif, la dénomination anglo-saxonne de « Alcoholic liver disease » a été remplacée par « Alcohol-related liver disease » dans la dernière version des recommandations européennes publiée en 2018 (EASL, J Hepatol 2018). En 2015, Santé Publique France estimait un nombre de décès liés à une maladie alcoolique du foie à 6783 pour un total de décès liés à l’alcool de 41080 (BEH du 19 février 2019), soit 16,5%. Dans cette même étude, il était souligné que la fraction attribuable à l’alcool dans la survenue de toutes les maladies digestives (hors cancer) était de 39,7% chez les hommes et 16,7% chez les femmes. Ces chiffres soulignent que plus d’un patient sur 3 et qu’une patiente sur 6 pris en charge par un hépato-gastroentérologue a ou a eu une consommation d’alcool délétère pour sa santé.

Les données médicales qui lient la quantité d’alcool consommée à la MFLA permettent de dire qu’il n’existe probablement pas de seuil « sûr » de consommation, c’est-à-dire de consommation quotidienne en dessous de laquelle le risque de développer des lésions hépatiques est nul. Le rôle des cofacteurs de progression de la maladie est très important, notamment le surpoids et l’obésité, le sexe féminin et les facteurs génétiques. Si un seuil « sûr » de consommation existe, il est sans doute très bas, de l’ordre de 12 à 25 g/j (EASL J Hepatol 2018, Rehm Drug and Alcohol Review 2010 et recommandations Alcool de l’AFEF). Le risque de développer une MFLA et notamment une cirrhose augmente de façon exponentielle au-delà de ce « seuil ».

REPÉRAGE ET DIAGNOSTIC

Le repérage de la consommation d’alcool est indispensable lors de tout premier contact avec un patient. En raison de l’importance épidémiologique des maladies digestives liées à l’alcool, l’identification d’une consommation à risque est un point majeur de la consultation en hépato-gastroentérologie. Le soignant en en particulier l’hépato-gastroentérologue dispose d’outils pour évaluer la consommation d’alcool de façon neutre et non jugeante, notamment le score AUDIT-C qui évalue par trois questions simples le comportement du patient. De tels scores sont très utiles pour identifier la consommation à risque mais aussi pour servir de levier de discussion avant un éventuel avis spécialisé en alcoologie. Si une consommation d’alcool à risque est mise en évidence, une intervention brève peut être proposée, elle consiste à informer le patient des risques, à le conseiller et à l’accompagner dans sa démarche de réduction de consommation. L’intervention brève n’est pas réservée au spécialiste en alcoologie mais doit au contraire être pratiquée par le médecin généraliste et l’hépato-gastroentérologue.

Le diagnostic des lésions hépatiques causées par l’alcool est difficile en raison de l’absence de signes cliniques spécifiques à la fibrose. Le diagnostic clinique de cirrhose est parfois évident devant des signes de maladie décompensée ou d’hépatomégalie dure mais il s’agit d’une minorité de cas par rapport à l’ensemble des patients porteurs de lésions hépatiques secondaires à l’alcool. Les transaminases et le dosage des γ-GT ne sont pas du tout spécifiques de l’importance des lésions hépatiques et une consommation d’alcool sans fibrose peut entraîner des perturbations importantes du bilan hépatique de routine. L’échographie a un intérêt pour identifier la présence d’une stéatose et d’une cirrhose mais la fibrose est mal évaluée par cet examen. Le diagnostic précis de l’atteinte hépatique repose sur les méthodes non invasives de fibrose car il n’est pas envisageable en 2020 de proposer une biopsie hépatique en routine alors que d’autres examens de diagnostic sont performants et très acceptables pour le patient. Les marqueurs sanguins comme le Fibromètre® et le Fibrotest® ont d’excellentes performances diagnostiques pour identifier la présence d’une fibrose significative ou d’une cirrhose. D’autres tests sanguins comme APRI ou FIB-4 ont des performances diagnostiques moins bonnes. En revanche, l’élastométrie par le système Fibroscan® donne d’excellents résultats. Chaque hépato-gastroentérologue devrait pouvoir proposer aux patients consommateurs excessifs d’alcool une évaluation non invasive de la fibrose. La question du dépistage en population générale n’est pas résolue, notamment en raison de la difficulté d’accès à l’élastométrie dans certains endroits du territoire national. Identifier la fibrose avancée et la cirrhose est un enjeu majeur pour la mise en œuvre d’un dépistage du carcinome hépatocellulaire, complication redoutable de la cirrhose liée à l’alcool, pour lequel la France a des chiffres de prévalence beaucoup plus élevés que ses voisins européens.

PRISE EN CHARGE

La prise en charge des patients présentant une MFLA est pluridisciplinaire et nécessite une collaboration étroite entre l’hépato-gastroentérologue et les soignants impliqués en alcoologie. L’élément clef de la prise en charge est l’arrêt de la consommation d’alcool, en particulier chez les patients porteurs d’une hépatopathie avancée. La présence d’une éventuelle dépendance à l’alcool est également un élément central dans la prise en charge du patient consommateur excessif car cela guide le recours éventuel à des molécules d’aide au sevrage ou au maintien de l’abstinence. De tels médicaments comme le baclofène ne sauraient être prescrits sans une prise en charge adaptée et en lien étroit avec un spécialiste en alcoologie, qu’il soit hépato-gastroentérologue ou non. L’aide apportée par les travailleurs sociaux est également un point majeur de la prise en charge des patients ayant une MFLA en raison des difficultés très fréquemment rencontrées par le patient et son entourage. L’hépato-gastroentérologue a ainsi un rôle central de conseil et d’organisation du suivi médical et non médical du patient présentant une MFLA. Ce rôle central s’exerce dès la consultation spécialisée et prend une importance toute particulière lors d’une éventuelle hospitalisation.

Outre les traitements pharmacologiques d’aide au sevrage ou au maintien de l’abstinence, le traitement médical de la MFLA est assez limité d’un point de vue médicamenteux. La corticothérapie est utile pendant une période courte de 28 jours en cas d’hépatite alcoolique sévère. Les traitements médicamenteux de la cirrhose, notamment décompensée, ne sont pas spécifiques à la cause de l’hépatopathie et sont utilisés chez les patients présentant une cirrhose liée à une MFLA comme chez les autres patients cirrhotiques.

La transplantation hépatique est un traitement extrêmement efficace pour traiter la MFLA décompensée qui met en danger le pronostic vital du patient. La pénurie d’organes dont souffrent tous les pays engagés en transplantation rend cette ressource thérapeutique non utilisable pour la plupart des patients souffrant de MFLA. Le développement de nouveaux traitements pharmacologiques capables d’entraîner une amélioration voire une régression de l’insuffisance hépatique sévère est indispensable, à l’instar des traitements antiviraux qui ont permis de réduire de façon majeure le nombre des patients porteurs d’une hépatite B ou C candidats à une transplantation.

ENJEUX FUTURS

L’importance de la consommation d’alcool sur la morbi-mortalité liée au foie dans notre pays nécessite une implication majeure des hépato-gastroentérologues dans la prise en charge des patients consommateurs excessifs d’alcool. Les stratégies de prévention ne sont que très insuffisamment développées dans notre pays. L’hépato-gastroentérologue a ainsi un rôle de repérage, d’information, de diagnostic et d’incitation à la limitation des risques. La spécialité d’hépato-gastroentérologie doit ainsi être impliquée dans les campagnes nationales visant à réduire la prévalence de la consommation d’alcool excessive en France. Les campagnes d’information du grand public sur les dangers de l’alcool existent mais la quantité d’information délivrée sur les risques de cirrhose reste trop faible. Ceci peut sans doute s’expliquer par le fait que l’état de cirrhose semble irréversible en cas de MFLA et que les traitements spécifiques sont souvent perçus comme peu nombreux et insuffisamment efficaces. Le développement de nouvelles stratégies moléculaires est indispensable mais se heurte à un intérêt relativement limité de l’industrie du médicament pour la MFLA.

En termes de dépistage, le développement de programmes à large échelle est nécessaire pour identifier la MFLA à un stade précoce. Nous manquons actuellement cruellement de données scientifiques dans ce domaine. L’identification des patients asymptomatiques présentant une fibrose extensive ou une cirrhose liées à l’alcool est nécessaire car elle permet de conseiller le patient pour prévenir l’apparition de la cirrhose si elle n’est pas présente, mais également de la décompensation et du carcinome hépatocellulaire chez les patients porteurs d’une cirrhose qui sont asymptomatiques. Un tel dépistage ne pourra s’envisager qu’en lien étroit avec les médecins généralistes, en identifiant les patients consommateurs excessifs par des questionnaires médicaux simples et en leur proposant un outil de dépistage non invasif généralisable à large échelle. Seuls les tests sanguins semblent garantir un accès simple à tous.

Le rôle de l’hépato-gastroentérologue dans la prise en charge des patients présentant une MFLA est central car il intervient dans toutes les étapes du diagnostic et du traitement. A cet égard, le spécialiste des maladies de l’appareil digestif est donc un acteur prépondérant en termes de santé publique face à ce problème qui entraîne malheureusement tous les ans le décès de milliers de Français.

Alexandre Louvet – Lille

MOTS CLÉS

Alcool, cirrhose, dépistage, repérage, information

Références

EASL Management of alcohol-related liver disease Journal of Hepatology 2018, vol. 69, 154–181

Rehm et al. Alcohol as a risk factor for liver cirrhosis: A systematic review and meta-analysis Drug and Alcohol Review 2010, vol. 29, 437–445

Santé Publique France Bulletins épidémiologiques hebdomadaires, consultés sur le site https://www.santepubliquefrance.fr/

AFEF Recommandations de prise en charge de la maladie du foie liée à l’alcool : A paraître