Maladies biliaires et auto-immunes du foie

Les trois principales maladies auto-immunes du foie (MAIF) sont l’hépatite auto-immune (HAI), la cholangite biliaire primitive (CBP) et la cholangite sclérosante primitive (CSP). La principale cellule cible de la maladie est l’hépatocyte pour l’HAI, à l’origine d’un tableau d’hépatite, et la cellule biliaire pour la CBP et la CSP, à l’origine d’une cholestase chronique, c’est à dire d’un défaut de sécrétion biliaire. Il s’agit de maladies rares mais non exceptionnelles (prévalences estimées: 15-25, 10-40, 6-10 patients/100000 personnes respectivement), dont l’incidence semble augmenter, touchant tous les groupes ethniques, les 2 sexes (avec une nette prédominance féminine sauf la CSP), les adultes et les enfants (sauf la CBP). Non diagnostiquées ou non traitées de façon efficace, ces maladies peuvent évoluer vers une cirrhose, une hypertension portale et une insuffisance hépatique nécessitant une transplantation hépatique ou aboutissant au décès.

CBP
La CBP, maladie cholestatique la plus fréquente, est habituellement évoquée chez une femme de 50-70 ans présentant un prurit ou des anomalies des tests biologiques hépatiques de type cholestatique (augmentation des phosphatases alcalines sériques [PAL]) découvertes les plus souvent fortuitement (1). Après avoir vérifié l’absence d’obstacle biliaire en échographie, le diagnostic peut être posé lorsqu’au moins deux des trois critères suivants sont présents :
1) signes cliniques et/ou biochimiques de cholestase depuis plus de 6 mois ;
2) présence d’auto-anticorps anti-mitochondries;
3) signes histologiques de cholangite à la biopsie du foie.
En pratique, une biopsie est donc rarement nécessaire pour porter le diagnostic et n’est indiquée que dans les formes atypiques ou en cas de suspicion d’association à une HAI. L’examen clinique est en pratique le plus souvent normal. La maladie est très rarement révélée d’emblée par une complication de la cirrhose. La détermination du stade de la maladie repose en très grande partie sur des examens non invasifs (analyses sanguines : bilirubinémie, PAL, plaquettes, albuminémie et élastométrie du foie). Une bilirubinémie et une albuminémie normales ainsi qu’une élastométrie ≤ 9,6 kPa sont les caractéristiques d’un stade précoce de la maladie. Le retentissement osseux (risque d’ostéoporose) doit être évalué par densitométrie. Le traitement de première intention est l’acide ursodesoxycholique (AUDC) à la dose de 13-15 mg/kg par jour. Ce traitement prolonge significativement la survie sans transplantation (diminution globale de 50% du risque de transplantation ou de décès à 10 ans). Le suivi spécifique comporte l’appréciation annuelle de la réponse biologique basée essentiellement sur la mesure de la bilirubine et des PAL. Chez les patients traités à un stade précoce et ayant une réponse biologique satisfaisante à l’AUDC, la survie n’est pas significativement différente de celle d’une population générale appariée. Cependant, dans environ un tiers des cas, la réponse biologique n’est pas satisfaisante, notamment en cas de cirrhose constituée et chez les patients jeunes (< 45 ans), et l’AUDC ne permet pas toujours d’éviter le recours à la transplantation. Après transplantation, une récidive est possible mais rarement sévère. En cas de réponse non satisfaisante à l’AUDC, des traitements de seconde ligne peuvent être associés à l’AUDC. Il s’agit essentiellement d’agonistes des récepteurs nucléaires qui modifient le métabolisme des acides biliaires : acide obéticholique (OCA), agoniste FXR disposant d’une AMM conditionnelle ou fibrates (bezafibrate), agonistes PPAR ne disposant pas encore d’une AMM mais dont l’efficacité et la sécurité d’emploi ont été récemment montrées dans un grand essai randomisé. De nouvelles molécules appartenant aux mêmes classes thérapeutiques sont en cours d’évaluation. Le traitement des principaux symptômes (prurit, asthénie dont l’intensité n’est pas toujours corrélée au stade de la maladie) est parfois problématique et de nouvelles approches sont évaluées. Les principaux enjeux sont la diffusion de la connaissance de la maladie afin de permettre un diagnostic précoce et l’optimisation thérapeutique chez les patients ne répondant pas à l’AUDC (probablement par combinaison de différents agents).

CSP
Les cholangites sclérosantes sont caractérisées par une atteinte inflammatoire et fibrosante des voies biliaires intra et/ou extra-hépatiques (2). La CSP est typiquement évoquée chez un homme de la quarantaine porteur d’une colite inflammatoire (MICI) (présente dans 60% des cas) et présentant des symptômes biliaires (ictère, angiocholite, prurit) ou des anomalies des tests biologiques hépatiques de type cholestatique. Le diagnostic de CSP dans sa forme habituelle peut être retenu en présence d’une cholestase chronique et d’anomalies typiques des voies biliaires en cholangio-IRM, et en l’absence de cause de cholangite sclérosante secondaire (antécédents chirurgicaux biliaires, maladies systémiques ou hématologiques rares, infection VIH, cholangite à IgG4…). Le diagnostic repose donc essentiellement sur la cholangio-IRM montrant des sténoses habituellement multiples. L’interprétation des cholangio-IRM des CSP est souvent délicate et la prise d’avis auprès de centres spécialisés est recommandée. La biopsie hépatique n’est pas systématique mais est indiquée en cas de suspicion de formes touchant uniquement les petits canaux biliaires (cholangio-IRM normale) ou d’association à une HAI. La détermination du stade de la maladie repose en très grande partie sur des examens non invasifs (analyses sanguines : bilirubinémie, PAL, plaquettes, TP, albuminémie, morphologie hépatique en IRM ou échographie, et élastométrie du foie). Une MICI doit être systématiquement recherchée par une coloscopie avec biopsies. Le retentissement osseux (risque d’ostéoporose) doit être évalué par densitométrie. La CSP a une évolution très variable mais potentiellement grave aboutissant au décès ou à la transplantation. La médiane de survie sans transplantation est d’une vingtaine d’années. Les risques principaux sont la constitution d’une cirrhose biliaire secondaire, la survenue d’un cholangiocarcinome de diagnostic précoce très difficile et, à un moindre degré, d’infections des voies biliaires (angiocholite). En outre, en cas de MICI associée, il existe un risque élevé de cancer du côlon justifiant une coloscopie annuelle. Le seul traitement d’efficacité établie est la transplantation hépatique qui est indiquée dans les formes très évoluées. Une récidive de la CSP sur le greffon est possible et parfois sévère. Le bénéfice clinique du traitement par AUDC (à une posologie de 15 à 20 mg/kg/j) est débattu. L’adjonction de corticoïdes est indiquée lorsqu’une composante autoimmune est clairement identifiée avec une biopsie hépatique. Le traitement endoscopique (dilatation) est réservé aux sténoses symptomatiques et serrées des voies biliaires extra-hépatiques après discussion en réunion multidisciplinaire. La CSP reste une maladie sévère de diagnostic et de prise en charge difficiles nécessitant un travail en réseau avec les centres spécialisés. Les efforts doivent porter sur la compréhension des mécanismes de la maladie et notamment sur le rôle du microbiote fécal. La participation aux essais thérapeutiques (agonistes des récepteurs nucléaires, cholérétiques, modificateurs du microbiote…) doit être encouragée.

HAI
L’hépatite auto-immune (HAI) est une maladie inflammatoire du foie caractérisée par la présence d’autoanticorps. Il s’agit d’une pathologie chronique qui affecte principalement les femmes soit entre 10 et 30 ans, soit à la ménopause. L’HAI peut être précédée ou accompagnée de manifestations extra-hépatiques (essentiellement thyroïdiennes et articulaires). Le diagnostic repose essentiellement sur la présence d’un taux élevé d’Immunoglobulines G et sur la présence de certains auto-anticorps détectés par immunofluorescence indirecte dont la présence permet de classer les HAI. On distingue en effet les HAI de type 1 qui sont caractérisées par la présence d’anticorps anti-nucléaire et/ou anti-muscle lisse et les HAI de type 2, beaucoup plus rares, qui sont caractérisées par la présence d’anticorps anti-LKM1 (anticorps anti liver-kidney-microsome), qui concernent essentiellement les enfants. Parfois, les auto-anticorps peuvent ne pas être détectés ; dans ces cas, des arguments cliniques (manifestations extra-hépatiques),ou biologiques (taux élevé d’Immunoglobulines G, présence d’allèles HLA particuliers (B8-DR3 ou DR4)) et certains critères histologiques (essentiellement présence d’un infiltrat plasmocytaire), ont tout leur intérêt. Les scores d’HAI (complet et simplifié) peuvent aider au diagnostic.

Dans certains cas, le mode de présentation est sévère et très rarement, il peut être représenté par un tableau d’hépatite fulminante.

Il est essentiel de pratiquer une biopsie hépatique pour apprécier le degré d’inflammation, de nécrose et de fibrose avant de débuter un traitement. Celui-ci est représenté dans un premier temps par l’administration de corticoïdes (0.5 à 1mg/kg) puis une fois la réponse biochimique obtenue (normalisation du taux d’ALAT) de continuer de diminuer les doses de corticoïdes et d’introduire de l’azathioprine (1-2 mg/kg) dans le but d’éviter les rechutes. Dans certains cas de résistance à ce traitement classique, il peut être utile de recourir à d’autres immunosuppresseurs tels que l’acide mycophénolique, le tacrolimus ou la cyclosporine. Il est nécessaire dans tous les cas de s’assurer de la bonne tolérance et de la compliance à ces traitements lourds dans le but d’éviter les rechutes, en particulier lors de la période d’adolescence. La durée de traitement est volontiers longue (plusieurs années) et la décision d’arrêt de tout traitement sur la base d’une possible guérison de la maladie est difficile et s’examine au cas par cas. Il est conseillé avant d’arrêter le traitement, d’obtenir une normalisation du taux d’ ALAT et du taux d’IgG voire de réaliser une biopsie hépatique pour vérifier l’absence d’un infiltrat inflammatoire persistant, car dans ce cas le risque de rechute est important. La transplantation hépatique doit être envisagée bien sûr dans les cas des formes fulminantes (indication de transplantation en super urgence) et dans les formes de cirrhoses décompensées. La récidive de la maladie sur le greffon peut survenir et le taux est corrélé au délai de suivi post transplantation et doit donc être prévenue par l’administration d’une immunosuppression adaptée.

Les enjeux reposent sur la l’optimisation de la prise en charge thérapeutique des formes sévères ; concernant celles-ci, le choix d’une corticothérapie initiale est parfois difficile compte tenu de la sévérité de la présentation. La disponibilité d’une immunosuppression plus « ciblée » est un enjeu essentiel dans le but d’avoir des rémissions plus rapides et de façon durable. Cet objectif pourra être réalisé qu’à partir d’une meilleure compréhension de la pathogénie de l’HAI.

Les formes frontières (ou syndromes de chevauchement ou « overlap syndrome »)
Elles associent deux de ces trois maladies, plus volontiers HAI et CBP ou HAI et CSP. Le diagnostic peut être fait lors de la présentation initiale ou bien retardée du fait d’un constat parfois tardif de la « deuxième » pathologie. Le traitement repose essentiellement sur la prise conjointe d’AUDC et d’une corticothérapie.

Les MAIF constituent ainsi un groupe particulier de maladies dont de nombreux aspects restent mal connus. Pour le clinicien, la prise en charge est difficile, exigeante et souvent individualisée, nécessitant un travail en réseau au niveau régional (intérêt des réunions de concertations pluridisciplinaires) national (Filière des Maladies Rares du Foie de l’Adulte et de l’Enfant [FILFOIE]) et européen (ERN Rare-Liver) ainsi qu’une collaboration étroite entre hépatologues pédiatres et d’adultes (transition).

Olivier Chazouillères, Paris
Jean-Charles Duclos-Vallée, Villejuif

Références 

  1. European Association for the Study of the Liver. Electronic address eee, European Association for the Study of the L. EASL Clinical Practice Guidelines: The diagnosis and management of patients with primary biliary cholangitis. J Hepatol 2017;67:145-172.
  2. Karlsen TH, Folseraas T, Thorburn D, Vesterhus M. Primary sclerosing cholangitis – a comprehensive review. J Hepatol 2017;67:1298-1323.
  3. European Association for the Study of the Liver. European Association for the Study of the L. EASL Clinical Practice Guidelines: Autoimmune Hepatitis. J Hepatol 2015;63:971-1004.